l'apiculture traditionnelle dans le comté de Nice du XVIe au XIXe siècle

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  histoire de l'apiculture

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apiculture traditionnelle 8
Péone : fentes d'envol des abeilles qui occupaient les ruches
placards intégrées dans l'épaisseur d'un mur exposé au sud

Quelques aspects de l'apiculture traditionnelle dans le comté de Nice du XVIe au XIXe siècle (2001)
Par L. N. Masetti
Musée des Arts et Traditions Apicoles de Fontan
Route de Berghe, 06540 Fontan - France

Les anciens ruchers placards
En 1600, Olivier de Serres, agronome et jardinier de Henri IV, dans son Théâtre de l'agriculture et desménages des champs conseillait aux apiculteurs de France : " Pour protéger les abeilles des larrons, la solution de l'emmurer est retenue. La muraille est percée en dehors par petits trous, comme ceux d'un crible, toutefois en petit nombre... et en dedans vers le logis, une armoire fermant avec son huis est fabriquée pour vendanger et nettoyer les ruches. "

Nous ne savons pas si les habitants de l'ouest du Comté de Nice ont lu le Théâtre de l'agriculture et desménages des champs mais presque à la même époque ils ont commencé à bâtir dans les murs de leurs maisons des armoires ou ruches placards comme préconisé par Olivier de Serres.

Cela se passait à Saint-Vallier-de-Thiey, sur la place principale du village qui s'appelle encore aujourd'hui la Place de l'Apié, à Saint-Etienne-de-Tinée, mais surtout à Péone dans le Haut-Cians où les ruches placards sont présentes dans une quarantaine de maisons du village et de la campagne (Photo 1).

Il s'agissait d'une forme d'apiculture familiale et montagnarde qui fournissait aux paysans une vendange de miel qui satisfaisait leur nécessité et même davantage si on considère que localement on appelait ces ruches placards les graniers dar mel, c'est-à-dire les greniers du miel.

Un cas unique
Presque en même temps, vers l'est de la région, dans la haute vallée de la Roya, les habitants de la Brigue et de Tende ont eu l'idée d'emmurer eux aussi leurs abeilles ou plutôt d'abriter les ruches dans des enclos en pierre qu'ils ont baptisé maisons des abeilles. Même si certaines maisons des abeilles ont été construites dans la Tinée et la Vésubie, c'est la vallée de la Roya qui présente une concentration extraordinaire de ces enclos, vrais sanctuaires mais aussi cénotaphes des abeilles qui étaient étouffées en fin de saison pour effectuer la récolte. Environ cent maisons des abeilles, un cas unique et extraordinaire dans l'architecture rurale, ont été bâties dans cette vallée, de la fin du 16e au XIXe siècle (Photo 2).


Les maisons des abeilles de la vallée de la Roya

Il ne s'agissait plus d'une apiculture familiale, mais d'une exploitation mercantile, d'une apiculture de rapport qui a laissé une trace indélébile dans les traditions de cette vallée où coulaient le lait et le miel grâce à l'extraordinaire flore locale basée sur des immenses pâturages et des vallons où poussaient toutes sortes de plantes sauvages.

La flore régionale
Si le littoral des Alpes-Maritimes a l'avantage des hivers doux et très courts, en été les fleurs disparaissent à cause de la sécheresse.


Abeille butinant de la lavande

D'autre part, les plateaux et les profondes vallées séparées par des hautes montagnes présentant une flore estivale extrêmement variée.

Dans la Tinée, la Vésubie et la Roya, on trouvait le sainfoin, la lavande, le thym et la sarriette en grande quantité mais les paysages ont subi, à partir du XXe siècle, une forte dégradation à cause des changements dans les techniques agropastorales, la déforestation, la multiplication des résidences secondaires, etc.

Les grandes prairies où poussaient la luzerne, le sainfoin et le trèfle blanc ont disparu tandis que la cueillette de la lavande sauvage a été abandonnée. On est bien loin de l'époque où l'on interdisait la récolte des plantes mellifères avant la fin de juillet pour permettre leur butinage par les abeilles !

La transhumance
Depuis des siècles, la transhumance des abeilles a été pratiquée dans l'ouest des Alpes-Maritimes et après l'hivernage dans des lieux proches du littoral, on les amenait sur les stations estivales dans les montagnes de moyenne altitude entre 500 et 1 200 mètres.

Le transport était assuré pendant la nuit à dos de mulet, plus rarement sur les épaules de l'apiculteur, en enfermant les brusques dans des sacs. Parfois, deux propriétaires étaient associés par une sorte de contrat de mégerie : celui demeurant sur le littoral gardait les abeilles de propriété commune, du mois d'octobre au mois de mai et s'occupait de l'essaimage, l'autre qui habitait la montagne, les surveillait chez lui du mois de juin à septembre et effectuait la récolte du miel et de la cire dans une cabane ou une tente placée près du rucher. Les dépenses de transport des ruches et les produits récoltés étaient partagés à part égale aux dates du 15 août et du 8 septembre, mais plus souvent des possédants résidant à Nice achetaient des ruches qui, par un contrat de mégerie ou contrat à moitié, étaient exploitées par des paysans de l'arrière-pays (Aspremont, Eze, Levens, Gilette, etc.).

L'essaimage
Le grand agronome Columelle (ier siècle après J.-C.), dans son traité De rustica, nous rappelle qu'au lever de la constellation des Pléiades au solstice, les abeilles essaiment (ab exortum vergiliarum ad solstititum examinant alvi).


La fièvre de l'essaimage : deux guetteurs
surveillent les abords du rucher

Autrefois, l'essaimage naturel, favorisé par la petite capacité des bruscs, était le seul moyen pour repeupler le rucher décimé par la pratique de l'étouffage. On peut dire que la fièvre de l'essaimage était très contagieuse au point de s'emparer de toute la famille de l'apiculteur et souvent même des voisins qui observaient le rucher et ses abords avec une mine chafouine.

Un guetteur, souvent une femme tricotant avec nonchalance, surveillait la barbe d'abeilles qui s'allongeait sur la planche d'envol. Quand l'essaim se levait en vol avec un bruissement en crescendo, le guetteur abandonnait son poste et tapait bruyamment sur une vieille casserole, suivi à l'instant par les membres de la famille brandissant d'autres instruments de cuisine pour renforcer le charivari et faire... poser l'essaim ! Une réminiscence de la mythologie grecque, reprise par le droit romain et transmise à nos jours ! (Photo 4)

Une fois l'essaim posé, on plaçait une ruche vide près de la branche et on passait du concert sonore au bel canto en adressant aux abeilles l'invitation à entrer, en fredonnant : casa nova, casa nova (maison neuve, maison neuve) à La Brigue, ou caray, caray (entre, entre) à Péone.

Autrefois les essaims n'étaient jamais vendus car on disait que dans ce cas l'argent portait malheur au vendeur et la mort aux abeilles.

Dans la Haute-Tinée et à La Brigue, les essaims étaient donnés ou faisaient l'objet d'un troc : un essaim contre un petit chevreau !

Les chasseurs de miel
Mais si les essaims étaient convoités pour augmenter le cheptel apicole, il y avait une autre activité qui permettait, sans beaucoup de travail, de s'emparer du miel : des siècles durant, peut-être des millénaires, les Alpes-Maritimes comme le Verdon, ont été le théâtre de la chasse au miel avec des conséquences quelquefois tragiques.

En effet, les toponymes hérités des abeilles ne manquent pas : La Roche des Abeilles à Puget-Théniers, les hameaux d'Abeille et de La Billière dans la Tinée, mais surtout Roquebillière, village de la Vésubie, qui s'appelait d'antan Rocca Abeigliera (roche aux abeilles), sans oublier Capo d'Abeglio (de abeglia = abeille), appelée aujourd'hui Cap d'Ail.

Ces dernières villes sont les seules dans les Alpes-Maritimes à se parer d'un symbole apicole. À Cap d'Ail, trois abeilles s'élèvent vers le ciel bleu comme pour remplacer les vigies de la tour génoise (tour d'Abeglio) bâtie sur un rocher dominant la Méditerranée pour alerter les habitants de l'approche de vaisseaux sarrasins.



D'azur à la tour d'argent sur une terrasse de sinople,
accompagnée de trois abeilles d'or, deux en flanc, une en chef

En ce qui concerne Roquebillière, il faut dire que l'ancien village romain (Roquebillière a changé trois fois de place) se trouvait au pied d'un rocher où les abeilles s'étaient installées depuis la nuit des temps dans une cavité à mi-hauteur que les habitants avaient nommée la fenêtre. Cette fenêtre était violée chaque année par un chasseur de miel qui se laissait descendre par une corde et qui, armé d'un sabre, coupait les gâteaux de miel pour les distribuer aux pauvres et aux enfants du village.


Ecartelé en premier et quatrième d'azur au lion couronné d'or,
en deuxième et troisième d'or aux trois abeilles d'azur, mal ordonnées

Cette aventure a continué encore après la dernière guerre mondiale jusqu'au jour où les abeilles ont disparu probablement anéanties par une maladie.

Dans la vallée de la Roya, on énumère au moins trois emplacements où l'on effectuait la récolte du miel sauvage.

Premièrement dans le Cayros, en amont du vallon de Mérimée où s'est déroulée la tragédie du rocher de la fourche. Il y a plus de 60 ans, en descendant du sommet du rocher, un gars vaillant, armé d'une fourche, se trouva coincé devant la cavité où se trouvaient les bresca. Énervé et peut-être affolé par les piqûres, il planta la fourche avec véhémence dans les gâteaux de cire mais la corde se cassa et il tomba d'une hauteur de 60 mètres se tuant sur le coup. La fourche est restée plantée dans la cavité de nombreuses années et s'y trouve peut-être encore.

Le deuxième emplacement se trouve dans les gorges de Saorge, près de l'embouchure de la Bendola, affluent de la Roya, et sur un rocher appelé le Chame (essaim). Ici la chasse au miel s'est déroulée pendant plusieurs années jusqu'à disparition du chame.

Le troisième se trouve dans le vallon de la Magia, encore un affluent de la Roya, au lieu-dit La Morgue, où la chasse au miel s'est déroulée ainsi que la récolte de pigeonneaux et oeufs de pigeons jusqu'aux années 30 !

La récolte et l'extraction du miel
Méthodes de récolte
La récolte se faisait avant la Saint-Barthélémy, c'est-à-dire avant le 24 août, quand les premiers orages de fin d'été rafraîchissaient l'air et la terre, permettaient une reprise de floraisons après la sécheresse estivale, ce qui donnait aux abeilles l'opportunité de refaire des provisions pour l'hiver.


Ruches en chêne-liège à Spéracèdes
(Alpes-Maritimes)

Quelquefois, quand l'hiver se présentait très long et qu'il y avait pour les abeilles le risque de la famine, les apiculteurs plus soucieux de leurs mouches à miel plaçaient, sous les ruches, des gamelles contenant des figues macérées dans de l'eau qui permettaient aux abeilles de s'alimenter, bien ou mal, de ce mélange sucré.

Si l'Abbé Bonifacy cite, dans ses manuscrits de 1808 sur les Alpes-Maritimes, les gens de Pierlas qui effectuaient le dédoublement des colonies par tapotement en ôtant le napié (ou calotte) des ruches en paille tressée, les habitants des vallées subalpines et surtout de la Haute-Roya procédaient de la façon suivante : l'apiculteur soupesait ses ruches et choisissait les plus lourdes qui étaient placées dans un petit trou dans la terre où brûlait une mèche de soufre (Photo 5).

En moins de deux minutes les abeilles étaient asphyxiées et les rayons de miel (bresca) étaient alors récoltés sans piqûres !

Les rayons qui contenaient miel, pollen et larves d'abeilles étaient ensuite :

  • placés dans un baquet pour les écraser avec les pieds comme on faisait avec les grappes de raisin après la vendange (Haute-Roya),
  • ou soumis à l'action d'une presse rudimentaire dans des scourtins en sparterie (La Brigue),
  • ou chauffés dans une marmite qui contenait de l'eau (Tinée),
  • ou simplement écrasés à la main et placés dans un sac pendu au plafond pour le faire égoutter dans un grand bol placé dessous.

Inutile de dire que la pureté et la valeur du miel ainsi récolté, même après filtrage, laissaient beaucoup à désirer car une fois passé l'hiver, il fermentait facilement. Et c'était avec la fermentation du miel qu'on préparait l'hydromel, cette boisson des dieux qu'on appelait l'aiga dous (l'eau douce).

Ce miel, qui se conservait assez bien de septembre à mars, était pour la plupart produit dans des ruchers à conduite familiale et consommé comme produit dulcifiant ou, encore mieux, comme médicament surtout pour les affections respiratoires.

" En 1810, les quatre pharmaciens exerçant Nice, Girelly, Risso, Quaranta et Vernay, fournissent le miel en pot de grès de 400 grammes environ et la pratique niçoise le préférait de loin aux sirops et aux sucres de raisin " (Photo 6)... Mais nous pensons qu'à partir de 1600, il y a eu, dans la haute vallée de la Roya, un essai de production de miel à grande échelle si on en juge par l'incroyable concentration de ruchers en pierre qui devaient produire en moyenne de 15 à 20 tonnes de miel par an.

En effet, il semble qu'une quantité de miel était exportée par les Brigasques vers le Piémont, l'Algérie et même l'Angleterre. Le miel de La Brigue se vendait à Nice au début du siècle 1,20 franc le kilo et il est, encore aujourd'hui, demandé par les connaisseurs qui le considèrent d'une qualité supérieure.
L. N. Masetti
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